Au foisonnement j’ai toujours préféré l’épure. Au raffinement, la force brute.
Mon enfance, je l’ai vécue dans un vaste cabinet de curiosités, entourée d’objets alambiqués, aux décors lourds et colorés.
Vénérés par ma grand-mère, cette chaise à porteur, ce paravent, ces services à thé, ces tapis et soieries avaient été ramenés de Chine et d’Asie par son père. Médecin militaire, fervent catholique, qui vivait ses voyages comme autant de missions d’évangélisation.
Il avait aussi officié, en Afrique mais de cela on ne parlait pas.
C’est vraisemblablement parce qu’un tabou – il a participé à la destruction d’œuvres considérées comme païennes- entourait son épopée africaine que ce cela m’intriguait, m’attirait.
J’ai acheté mon premier masque africain sur un marché de Paimpol. J’avais 14 ans. Je l’ai toujours. C’est avec cette pièce que j’ai commencé à m’intéresser aux arts d’Afrique et d’Océanie.
J’ai immédiatement été séduite par l’esthétique minimaliste, celle des masques ou des totems. Le fait aussi qu’en Afrique particulièrement, on ne considère pas l’art pour l’art.
Chaque objet travaillé, sculpté, forgé porte une charge, une fonction, transmet l’histoire d’un homme, d’un esprit ou d’un village. Chaque « œuvre » a un rôle. Rien n’est inutile. Gratuit.
L’idée que les objets incarnent des histoires, la leur propre, ou celles de ceux qui les ont utilisées me fascine.
Avant de découvrir la soudure à l’arc, et de travailler la ferraille, avant de décider de recycler des outils et des objets du quotidien, j’ai fait du patchwork, de la mosaïque, et de manière plus anecdotique, des guirlandes de bouchons en plastique. Je n’ai jamais utilisé de matériau neuf.
J’ai à cœur de récupérer. De redonner une chance, une autre vie aux objets que l’on a cassé, jeté… oublié.
De toutes mes confrontations avec la matière c’est la soudure qui est pour moi l’expérience la plus forte.
Se coltiner des objets lourds, rouillés, abimés par le temps. Passer des heures à détourner les formes originelles, à les faire s’épouser, afin qu’il en émerge autre chose… Animaux ? humains ? Chacun doit y voir ce qu’il souhaite.
Pour ma part, je les pense et les imagine vigies, sentinelles, fétiches bienveillants que je charge de protéger les jardins et les foyers.
Par respect pour ce qu’ils ont traversé, peut-être, je ne lustre ou ne décape aucun des objets que je détourne.
J’aime que l’on imagine que mes guerriers, mes guerrières, mes masques ont été forgés par le temps. Comme s’ils s’étaient assemblés d’eux-mêmes. Comme s’ils s’étaient trouvés.
Guerriers